Montparnasse : les impasses de la shopping city

Le devenir du quartier Montparnasse est un enjeu majeur d’urbanisme pour le 14ème arrondissement et pour Paris. Voire même, un enjeu métropolitain, tant les flux de populations y sont importants. Il est en effet des quartiers où celles et ceux qui y habitent sont moins nombreux que celles et ceux qui y passent. Flux de voyageurs fréquentant la 4ème gare de France et les nombreuses lignes de métro et trains régionaux qui y passent, salariés travaillant dans les immeubles de la fameuse tour et dans les bâtiments aux alentours, touristes et francilienn-e-s fréquentant les centres commerciaux, restaurants, cafés, théâtres, cinémas…Chaque jour, quelques centaines de milliers de personnes passent à Montparnasse.

Dès lors, la double question à la base de tout projet d’urbanisme se complexifie : qui fait la ville, et pour qui ?

Quels héritages pour Montparnasse ?

Historiquement, Montparnasse c’est d’abord un quartier à la vie culturelle et intellectuelle très riche. De la fin du XIXème siècle aux années 1950, nombreux sont les artistes qui y ont vécu ou l’ont fréquenté : Apollinaire, Cézanne, Braque, Picasso, Miro, Degas…la liste est très longue et témoigne d’un fort héritage. La vie nocturne y était également très animée, avec ses nombreux théâtres, music-halls et cinémas. C’était un quartier plus populaire qu’aujourd’hui, pas encore touché par le phénomène de gentrification décrit par de nombreux sociologues, notamment Anne Clerval.

Et puis dans les années 1960, largement sous impulsion politique, il a été décidé de faire de Montparnasse le quartier d’affaires de la rive gauche, avec la reconfiguration de la gare, notamment pour accueillir les lignes de TGV, la construction de la Tour et du centre commercial adjacent. Dans cette période des Trente Glorieuses, le fantasme d’une croissance économique illimitée est omniprésent, et on organise la ville autour de la consommation de masse et des bureaux. L’urbanisme, lui est centré autour de la voiture, à qui l’on dégage de larges emprises au sol, en construisant les bâtiments et les espaces de circulation piétonne sur dalles.

Lequel de ces héritages prolonger ? À l’heure de la crise écologique, il est évident qu’il faut sortir du modèle du tout-consommation et du tout-voiture. Pour autant, lorsque l’on regarde les orientations décidées par un certain nombre d’acteurs privés et publics, il y a de quoi être inquiet.

Un enchevêtrement de décideurs qui complique l’implication citoyenne

La Ville de Paris souhaite évidemment s’impliquer dans l’élaboration du nouveau Montparnasse. Elle a directement la main sur la définition des espaces publics (voirie, espaces verts) et sur les équipements publics. Mais d’autres acteurs interviennent. La SNCF d’abord, qui supervise la rénovation de la gare. Des propriétaires, promoteurs privés ou des foncières commerciales ensuite, pour beaucoup regroupés au sein de de l’EITMM (Ensemble Immobilier Tour Maine-Montparnasse), mais aussi ceux du centre commercial Gaité ou du grand hôtel Pullman. Cette année, la Ville de Paris a voté le principe d’un « dialogue compétitif » en partenariat avec l’EITMM pour aboutir à désigner une équipe d’urbanistes chargée d’élaborer les grands principes d’aménagement du grand espace situé entre la gare et la rue de Rennes.

La multiplicité des acteurs qui interviennent sur ces aménagements rend la concertation citoyenne sur le futur du quartier plus compliquée. Il y a certes eu d’ores et déjà cette année une réunion publique, deux marches exploratoires et un atelier participatif organisés par la Mairie de Paris. Par ailleurs, les parisien-nes ont pu répondre à un questionnaire en ligne dont les premiers résultats seront communiqués à la réunion du vendredi 21 septembre au Gymnase Mouchotte, dans le 14ème, et il est possible de faire part de ses remarques à l’adresse mail :  mainemontparnasse@imaginons.paris.

Mais quelle est la réelle marge de manoeuvre de cette concertation sur le futur projet ? À partir du moment où beaucoup d’aménagements relèvent d’acteurs privés, il faudra une volonté politique forte de la Ville de Paris pour faire entendre l’avis des habitant-e-s.

L’avenir des grands aménagements urbains ne devrait pas dépendre autant des acteurs privés. Lorsque la ville possède une bonne partie du foncier, il peut être avantageux de créer une zone d’aménagement concerté (ZAC) afin d’élaborer une véritable planification urbaine impulsée par les pouvoirs publics, dans un objectif d’intérêt général. À Montparnasse, ce n’est pas le cas, et de plus le quartier est déjà constitué et dense, mais il existe d’autres outils, comme par exemple la gestion des permis de construire, ou la déclaration d’utilité publique qui peut aller jusqu’à permettre des expropriations. Un tel dispositif est utile lorsque des projets privés sont anti-sociaux ou anti-écologiques. On pourrait d’ailleurs imaginer des déclarations d’utilité écologique tant il est urgent d’agir pour préserver notre planète !

Ce qui est certain, c’est que la Ville ne doit plus vendre définitivement du foncier au secteur privé, car l’usage des sols est un bien public. Cela ne veut pas dire abolir la propriété privée, mais la limiter dans le temps, et la soumettre à échéance régulière à approbation de la collectivité. Car le danger de la privatisation sans limite de la ville, c’est sa marchandisation.

Montparnasse en voie de devenir une shopping city

Dans un entretien au journal Le Monde daté du 9 mars 2018, jean-Louis Missika, adjoint à la Maire de Paris en charge de l’Urbanisme envisage d’ailleurs de recourir si besoin à la déclaration d’utilité publique pour réaménager le quartier, mais pas pour y limiter la densité marchande. Selon lui, en cas de réticences des acteurs privés à s’associer au projet urbain, la ville pourrait en passer par une telle déclaration et par des expropriations : « ce sera compliqué mais c’est faisable, l’objectif est que personne ne soit lésé », affirme-t-il. Mais son idée majeure est la suivante : « prolonger la rue de Rennes jusqu’à la gare et retrouver un schéma urbain parisien, un aménagement en pleine terre, avec le même volume de commerces, mais disposés le long des rues « .

Carte réalisée par le journal le Monde, dans son édition du 9 mars 2018
Carte réalisée par le journal le Monde, dans son édition du 9 mars 2018

Si l’on garde autant de commerces entre la rue de Rennes et la gare, et que l’on ajoute les projets du centre commercial Gaité, de la nouvelle Tour Montparnasse et de la tour CIT, et enfin celui du réaménagement de la gare elle-même, on aboutit à une très forte augmentation des surfaces de commerces et de bureaux. C’est l’avènement de la shopping city, ou de la business city, qui est fondamentalement anti-écologique. D’autant plus lorsque le calendrier des travaux s’articule autour de l’échéance des Jeux Olympiques de Paris 2024, dont les écologistes et certains collectifs ne cessent de dénoncer les dangers pour l’environnement. C’est vouloir produire et consommer toujours plus, alors que les ressources de notre planète s’épuisent et que nous devrions opter pour la sobriété, l’économie locale et solidaire.

Voyez plutôt :

– Le projet de la nouvelle gare Montparnasse d’abord, porté par la SNCF et le promoteur Altarea Cogedim devrait permettre, à terme, l’implantation de 130 commerces, restaurants et services sur une superficie de 19.000 m².

– Le centre commercial Gaité prévoit la création de 12 000 m2 de bureaux, et de plus de 100 boutiques sur trois niveaux.

– La Tour Montparnasse rénovée devrait pouvoir accueillir deux fois plus d’occupants qu’à l’heure actuelle, avec là encore de nombreux commerces et bureaux, et un hôtel panoramique.  La Tour CIT garde, elle, sa vocation d’immeuble de bureaux.

Les véritables enjeux écologiques du nouveau Montparnasse

C’est vrai, il y a des aménagements écologiques : l’architecture de la nouvelle Tour Montparnasse est incontestablement réussie, et des dispositifs innovants de gestion de l’énergie, de récupération des matériaux et de végétalisation sont mis en place. Mais elle gagne malheureusement en hauteur. Du côté du centre commercial Gaité, l’accent est mis sur certains principes de l’économie circulaire. Mais on est en droit d’être plus que méfiants à la lecture de certains slogans mis en avant par le promoteur : des anglicismes qui fleurent bon le greenwashing mondialisé tels que « le Retail Expérientiel » ou encore la « Dining Experience », qui n’arrivent pas à masquer l’implantation prévue de grandes enseignes de distribution.

D’autres aspects positifs sont à souligner : la création de logements sociaux à côté du Centre Gaité et la meilleure visibilité donnée à la bibliothèque Vandamme. Les aménagements de voirie en faveur des piétons aux abords de la gare et sur la place du 18 juin 1940, ainsi que la création de stationnements vélos à l’intérieur de la gare sont également à saluer.

Mais fondamentalement, ce projet de quartier pris dans son ensemble inquiète par sa densité marchande. Il risque d’avoir un impact déstabilisant à l’échelle métropolitaine en attirant toujours plus de flux de consommateurs et de travailleurs dans Paris intra-muros, alors qu’il faudrait mieux répartir les bassins d’activité à l’échelle régionale, voir nationale. Les transports collectifs seront davantage sous tension. La SNCF, elle, se réjouit de pouvoir davantage remplir ses lignes de LGV qui arrivent à Montparnasse, alors que l’on sait à quel point le financement du tout-TGV a affaibli les lignes régionales et accentue les fractures territoriales entre les métropoles d’une part, et les zones péri-urbaines et rurales d’autre part. Et sa priorité semble de faire de ses gares des galeries marchandes.

Et faut-il vraiment créer toujours plus de surfaces de bureaux dans Paris, alors qu’il y a aujourd’hui beaucoup de bureaux vacants, comme nous l’expliquions dans un vœu au conseil du 14ème arrondissement du 12 avril dernier

Voilà quelques unes des questions qui devraient être au coeur du réaménagement du futur Montparnasse.

Il n’est pas trop tard pour imaginer un Montparnasse écologique et solidaire

Il n’est cependant pas trop tard pour prendre la mesure de tous ces enjeux et donner de nouvelles priorités à ce nouveau Montparnasse.

La Ville de Paris a une réelle puissance juridique et économique, et peut s’appuyer sur une mobilisation citoyenne pour imaginer un Montparnasse écologique et solidaire. Voici quelques pistes de réflexion :

– Faire du prolongement prévu de la rue de Rennes un espace très végétalisé, avec une faible densité de construction, où la priorité serait donnée à l’artisanat, aux espaces culturels et aux logements sociaux.

– Engager un dialogue avec la SNCF, l’Etat et les collectivités locales concernées pour poser ensemble les enjeux d’un rééquilibrage des flux d’activités et de transports à l’échelle de la métropole du Grand Paris, et de la région Île-de-France

– Proposer que la tour CIT soit dédiée à des activités de l’économie sociale et solidaire, et travailler main dans la main avec l’EITMM à cet objectif

– Recenser les surfaces de bureaux vacantes dans le quartier, afin d’user du droit de réquisition pour loger des populations en situation de grande précarité

– Réaménager la rue du Commandant Mouchotte, qui longe la gare sur son flanc est, comme une zone de rencontre, avec des voies de circulation perméabilisées laissant davantage d’espace aux piétons et mobilités douces. Repenser la place de la Catalogne qui est aujourd’hui trop minéralisée. Chercher à désenclaver le jardin de l’Atlantique, et créer quelques continuités vertes entre celui-ci et les rues voisines.

Nous le savons, l’urgence climatique est réelle et impose des changements importants de nos modes de vie. Mettons en œuvre un urbanisme écologique !

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Image en une : photographie personnelle d’un panneau publicitaire du futur centre commercial Gaité, septembre 2018.
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