L’écologie : un nouvel horizon républicain pour notre école

Retrouvez ci-dessous ma tribune publiée dans l’Obs

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L’école publique traverse une profonde crise d’identité et de confiance dans notre pays. Elle fut longtemps perçue comme le pilier central de la République : l’accueil des jeunes de toutes origines, pour leur inculquer les valeurs et savoirs leur permettant de trouver leur place dans la société, est ce qui permet de faire Nation. Malheureusement, depuis trop d’années, cet idéal de l’école de la République s’effrite, alors même que l’engagement des équipes éducatives demeure remarquable.

L’affaiblissement de la mixité sociale est dangereux pour notre cohésion sociale

À qui la faute, si la mixité sociale dans les écoles publiques recule fortement ? En 2000, selon la Cour des Comptes, les catégories favorisées représentaient 32% des effectifs dans les collèges et lycées publics, contre 41% dans le privé. Vingt ans plus tard, la part de ces catégories favorisées restait quasi inchangée dans le public, alors qu’elle était passée à plus de 55% dans le privé. À l’autre bout de l’échelle sociale, les élèves défavorisés sont de moins en moins présents dans le privé, alors que le public continue d’assumer seul l’intégralité de la scolarisation des jeunes dans les quartiers dits « prioritaires ».

La responsabilité de ce délitement de la mixité sociale dans les écoles publiques incombe évidemment aux responsables politiques, qui n’ont pas voulu instaurer les dispositifs contraignants nécessaires pour la rendre effective, comme tracer des cartes scolaires plus équilibrées, limiter les possibilités d’y déroger, et bien-sûr, conditionner strictement le financement des établissements privés à des critères de mixité sociale. Il n’est pas trop tard évidemment ! Mais le récent très mauvais feuilleton de l’éphémère ministre Amélie Oudéa-Castéra a montré à quel point toute une partie des élites politiques n’ont que faire du redressement de l’école publique, puisqu’ils organisent eux-mêmes la fuite de leurs enfants vers des établissements privés qui, eux, sélectionnent leurs élèves selon leur bon vouloir.

Ce qui fait la force d’un projet scolaire, c’est son inscription dans un projet de société plus large

Pour autant, le seul objectif de mixité sociale ne suffira pas à reconstruire l’école publique. Il faut un nouvel horizon collectif, un nouveau projet de société, auquel cette école pourrait préparer la jeunesse, en suscitant adhésion et enthousiasme.  La troisième République fit de l’école le lieu d’apprentissage et d’enracinement d’un régime politique démocratique et laïc, dans un contexte historique où les monarchies n’étaient pas si lointaines et où le poids de la religion restait fort. Loin d’être l’école idéale, l’imaginaire émancipateur de l’école de la troisième République reste encore aujourd’hui très présent.

Durant les Trente Glorieuses, l’objectif de massification scolaire de la troisième République s’est approfondi, culminant avec la loi Haby de 1975 sur le collège unique, prévoyant la mise en place d’un « collège pour tous », en continuité de « l’école pour tous » (le primaire), avec l’ambition d’un tronc commun de savoirs partagés. Depuis les années 1980, la durée moyenne des études s’est encore allongée, encouragée par les pouvoirs publics. On se souvient du fameux slogan de Jean-Pierre Chevènement en 1985 : « amener 80 % d’une classe d’âge au niveau du baccalauréat ».

Mais les écarts de réussite scolaire selon les milieux sociaux restent immenses, remettant légitimement en cause le mythe de la méritocratie. Le système scolaire est devenu de plus en plus stratifié, entre des filières prestigieuses où sont les enfants de cadres, et des filières beaucoup moins, où les enfants d’ouvriers sont cette fois bien plus nombreux que les enfants de cadres. Par ailleurs, avec l’apparition d’un chômage de masse et l’affaiblissement de la cohésion sociale qui en a découlé, les différentes réformes de l’école ont semblé chercher les moyens de s’adapter aux exigences supposées du monde du travail, hésitant entre garder l’ambition d’une certaine homogénéité des connaissances entre tous les jeunes d’une génération, ou au contraire développer des approches plus professionnalisantes selon les besoins de recrutement des différents secteurs de l’économie.

Mettre la question environnementale au cœur du projet scolaire, pour construire la République écologique

L’écologie s’est imposée comme un enjeu majeur du 21e siècle. Elle n’a évidemment pas fait disparaître la question sociale, ni même la question démocratique, dans la période trouble que nous connaissons où l’extrême-droite semble aux portes du pouvoir. Mais bien plus qu’une nécessité pour garantir l’avenir de nos vies sur Terre, elle est une chance pour construire une société plus juste. Penser une école tournée vers les enjeux écologiques permet d’en donner une illustration éclatante.

D’abord, « sauver la planète » est un enjeu extrêmement mobilisateur, qui touche toutes les catégories sociales. Ensuite, parce que l’écologie est un projet collectif qui remet des enjeux matériels de base au premier plan dans un contexte de raréfaction des ressources naturelles, elle amène à revaloriser nombre de métiers dits « manuels », indispensables à la préservation de l’environnement. Pour nous nourrir, nous loger, nous déplacer, et pour limiter les dérèglements du climat, nous aurons fortement besoin d’agriculteurs bio, de protecteurs des forêts et des mers, de constructeurs de bâtiments et de moyens de transports durables…qui sont encore trop mal reconnus symboliquement et/ou matériellement aujourd’hui. Enfin, l’écologie est une vision du monde qui, parce qu’elle porte une autre approche du temps que celle du capitalisme, celle du rythme des saisons plutôt que « du temps c’est de l’argent », porte la promesse de rapports humains plus apaisés. Se penser maillon de tout un écosystème du vivant incite en effet davantage à prendre soin des autres et de soi, comme on prend soin de la nature.

Une école des idéaux écologiques communs qui tourne le dos à l’élitisme

Faire de la protection de l’environnement un pilier majeur du projet scolaire passe d’abord par augmenter significativement dans toutes les disciplines enseignées au primaire et au secondaire les contenus pédagogiques liés à la nature et à la place que l’humanité y occupe. Si cela va de soi dans les sciences naturelles ou en physique/chimie notamment, c’est aussi tout à fait possible en sciences sociales et en lettres.

Donner à notre jeunesse un imaginaire écologique commun doit aussi déboucher sur une multiplication des formations aux métiers « verts ». Les besoins sont immenses, à l’heure où il est urgent de faire bifurquer l’ensemble de notre système économique vers des modèles plus sobres et solidaires. Toutes les compétences seront à mobiliser, qu’elles soient l’apanage des « travailleurs de la main » ou des « travailleurs du cerveau », comme disait Jean Jaurès dans son magnifique discours à la jeunesse de 1904. C’est l’occasion de revaloriser les filières technologiques et professionnelles, qui sont tout aussi indispensables que les filières dites « générales », pour parvenir à bâtir une agriculture et une industrie durables, et entraîner notre société vers de nouvelles façons de produire et de consommer.

Cet idéal d’une école tournée vers des idéaux écologiques communs, sans hiérarchie symbolique des matières, où chacune et chacun est un maillon essentiel d’un projet de société, est profondément républicain. En délivrant nos jeunes et leurs parents de représentations sociales sur les « bons » et les « mauvais » métiers, tout en menant une politique très ferme de mixité dans nos écoles et de soutien aux enfants des milieux les plus modestes, nous pourrons nous donner plus de chances de construire une école plus égalitaire, où davantage d’enfants de cadres auront envie, par exemple, de devenir agriculteurs bio, et davantage d’enfants d’ouvriers, professeurs de littérature spécialistes de « Walden ou la Vie dans les bois » de Henry Thoreau.

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